Lancée par l’ASLOCA, l’initiative populaire « davantage de logements abordables » vise à inscrire dans la Constitution l’obligation pour la Confédération de veiller à ce que au 10% des logements nouvellement construits soient propriété de maître d’ouvrage œuvrant à la construction de logements d’utilité publique, soit des coopérations et des collectivités publiques. La Constitution autoriserait également les cantons et les communes à introduire un droit de préemption en leur faveur, y compris sur les bien-fonds de la Confédération ou d’entreprises qui lui sont liées (les CFF notamment), dans le but de d’encourager la construction de logements d’utilité publique. L’objectif est de construire des logements d’utilité publique – type de logements qui manque, alors que c’est celui dont le plus de gens ont besoin –, de faire baisser les loyers et de juguler quelque peu la spéculation immobilière.
10% ce n’est pas énorme. C’est même la moindre des choses. Pourtant, c’est déjà trop pour le lobby des promoteurs immobiliers et les partis bourgeois, qui combattent avec virulence une initiative qu’ils jugent « rigide », « extrême » (sans blague !),« couteuse », « contre-productive », « étatiste » ; bref, une entrave insupportable à la liberté du marché libre (à la liberté du renard libre dans le poulailler libre). Le droit de préemption serait bien évidemment une insupportable atteinte au sacro-saint droit de propriété. En outre, le problème du manque de logements et des loyers élevés serait celui des villes, et il serait irrationnel et excessif de vouloir imposer un aussi lourd fardeau que 10% de logements d’utilité publique aux communes rurales, où l’on est plutôt propriétaire.
Ils n’hésitent pas à manipuler les chiffres, et à prétendre que loyers ont en réalité un peu diminué ces dernières années, et donc que l’initiative ne répondrait à aucune nécessité. Les loyers auraient baissé ? On n’a pas spécialement remarqué…Mais, d’après des chiffres compilés en toute opacité par les promoteurs, et basés sur les loyers de biens mis en location d’après les petites annonces, les nouveaux loyers ont augmenté jusqu’en 2016, avant de décroître très légèrement. Mais, selon les chiffres publiés par l’Office fédéral de la statistique, les loyers continuent d’augmenter.
La réalité est que les loyers ont augmenté de plus de 18% depuis 2005, nonobstant la baisse du taux hypothécaire de référence, ce qui est bien supérieur à la hausse du coût de la vie sur la même période (5%), sans parler de l’évolution des salaires. Le résultat est que – d’après une étude réalisée par la banque Raiffeisen – les loyers seraient en fait de 40% supérieurs à ce qu’ils auraient dû être si le droit du bail était correctement appliqué. Les propriétaires profitent donc deux fois, et de façon malhonnête, de la situation : ils économisent sur le taux d’intérêts, tout en continuant à faire payer les locataires comme si de rien n’était. Aussi les loyers atteignent des montants scandaleux, et insoutenables. Il n’est que trop temps d’y mettre un terme.
L’initiative de l’ASLOCA est un moyen pour y parvenir. Aussi pas étonnant que les promoteurs immobiliers la combattent : ils risquent en effet de perdre un peu de leurs profits abusifs. Leurs arguments ne tiennent pas la route ? Inefficace, car allant contre la liberté du marché ? Poncif néolibéral grotesque ! Et on voit bien ce qu’ils font lorsqu’ils en ont la « liberté ». Ils ne construiraient que de la PPE ou des bureaux s’ils le pouvaient. L’intérêt commun exige de restreindre drastiquement leur liberté, de réguler le marché de l’immobilier par la collectivité. Quant à la préemption, il ne s’agit que de la possibilité pour la collectivité d’acheter un bien qui est en vente, au prix du marché. Le propriétaire n’y perd rien. C’est une « violation du droit de propriété qui n’est susceptible de gêner que les spéculateurs. Ce qui est une bonne chose. La réalisation des objectifs de l’initiative coûterait cher à la Confédération (120 millions) ? Mais on trouve bien quelques milliards pour des nouveaux avions de combat. Quant aux communes rurales, on y trouve aussi (moins que dans les villes sans doute) des locataires qui ont de la peine à se loger, et 10% ce n’est vraiment pas la mer à boire.
Loin d’être « extrême », l’initiative de l’ASLOCA est bien plutôt particulièrement modérée. Mais elle constitue un pas en avant indispensable, qu’il faut fermement soutenir.