L’initiative fédérale « Oui à l’interdiction de se dissimuler le visage » émane du Comité d’Egerkingen – celui qui a fait aboutir l’initiative pour l’interdiction des minarets – composé de membres de l’UDC et de l’UDF (un parti protestant fondamentaliste d’extrême-droite). Elle vise l’interdiction du voile intégral. Le terme utilisé habituellement par les initiants est « burka » (un voile intégral de couleur bleue, avec un grillage recouvrant les yeux, et porté en Afghanistan), alors que leurs visuels montrent plutôt des femmes vêtues d’un niqab (voile intégral de couleur noire, et sans grillage, porté dans les pays du golfe). Mais, pour les démagogues d’extrême-droite, la rigueur intellectuelle est purement optionnelle, de même que la vérité. En second lieu, cette initiative vise les antifascistes, qui dissimulent leur visage avec un foulard lors des manifestations, brutalement assimilés à la délinquance et au hooliganisme (les fascistes dérangent sans doute beaucoup moins à l’UDC).
Le Parti du Travail est fermement opposé à cette initiative. Bien entendu, nous ne saurions être favorables au voile intégral et à ce qu’il représente. Le wahhabisme est une idéologie profondément réactionnaire, une véritable plaie pour le monde musulman. Et cette idéologie doit être combattue. Rappelons toutefois que la dynastie de Saouds fut mise sur le trône par le Royaume-Uni – avec le calcul exprès qu’un régime aussi rétrograde ne saurait passer pour une alternative souhaitable aux yeux peuples arabes qui se sont retrouvés sous mandat britannique. Rappelons que le wahhabisme a été massivement diffusé dans le monde musulman par l’Arabie saoudite avec l’appui des USA – en tant qu’arme idéologique face au socialisme et au nationalisme arabe. Rappelons que les talibans furent soutenus par les USA contre la République démocratique
d’Afghanistan. Et qu’encore aujourd’hui les contempteurs habituels de l’islam n’ont aucun scrupule à traiter avec le régime saoudien.
Mais le combat contre le wahhabisme ne peut en aucun cas être un combat contre les femmes musulmanes. Et ces messieurs du comité d’Egerkingen – il y a peu de femmes dans les hauts échelons de l’extrême-droite –
ne sont en aucun cas qualifiés pour défendre l’émancipation de quelque femme que ce soit. Ils sont d’ailleurs pour le moins tièdes quant aux questions d’égalité, et ce n’est pas peu dire. En matière de fondamentalisme, l’UDF n’a du reste rien à envier aux dignitaires religieux du royaume saoudien.
La seule raison pourquoi l’extrême- droite lance cette initiative, c’est pour imposer un débat sur l’islam, présenté comme danger pour une Suisse éternelle, blanche et chrétienne. Leur initiative leur sert à imposer leurs propres problématiques dans le débat public, celles d’une prétendue invasion étrangère, source d’insécurité, de plus ou moins tous les problèmes de la Suisse, et menace pour son identité. Leurs affiches ne parlent nullement de la libération des femmes, mais d’une menace représentée par les musulmans, ou plus simplement par les Arabes.
Dans l’idéologie contemporaine d’extrême-droite en Europe, les musulmans sont le bouc-émissaire désigné, la menace existentielle (comme l’étaient les Juifs dans le discours d’extrême-droite d’autrefois). S’il y a si souvent une ressemblance frappante entre les visuels de l’UDC et la propagande fasciste de naguère, ce n’est pas une coïncidence, mais tient à une réelle homologie dans le discours.
Cette initiative s’inscrit dans la droite ligne de toutes les initiatives
xénophobes de l’UDC, elle est conçue expressément pour stigmatiser les musulmans. Aussi, elle ne peut être soutenue d’un point de vue féministe. La stigmatisation n’a jamais contribué à l’émancipation de personne.
En Suisse, une trentaine de femmes porteraient le voile intégral. Les autres sont des touristes issues des pays du golfe. Ce n’est certainement pas cette initiative démagogique qui libérera une seule des femmes en question. Du reste, penser que c’est en légiférant sur la tenue portée par les femmes – qui plus est s’agissant d’un texte écrit par des hommes – que l’on contribue à leur libération est bien étrange.
Contrairement à un absurde lieu commun, l’extrême-droite n’apporte pas de mauvaises réponses à de bonnes questions. Elle vient avec ses réponses xénophobes et réactionnaires préconçues, et cherche à imposer des pseudo-questions bricolées sur mesure (de polémiques sur des faits divers montés en épingle à des fake news éhontées) pour faire passer ses réponses. Car, en imposant les questions, on impose déjà les réponses. Cette initiative s’inscrit dans une démarche de ce type. C’est pourquoi, il faut résolument voter NON.
Alexander Eniline